vendredi 23 novembre 2012

Adel Abdessemed


 Je suis innocent, Adel Abdessemed,
Au Centre Pompidou.
Jusqu’au 7 Janvier 2013


Lorsque vous passerez à Beaubourg voir l’exposition de Bertrand Lavier ou simplement flâner dans l’accrochage permanent, il vous est fortement recommandé de rentabiliser votre ticket et d’aller faire un tour dans la galerie sud. Vous y découvrirez en effet l’univers déroutant d’Adel Abdessemed, jeune artiste contemporain algérien.

La première salle donne immédiatement le ton de l’exposition. Interdite aux mineurs pour son caractère violent ou sexuellement explicite, elle vous entraîne dans un monde d’images brutales, poétiques ou absurdes. On y suit un enchaînement de vidéos, parfois très simples, telle qu’un citron écrasé sous un pied, et montant crescendo jusqu’au délire visuel avec Lise, présentant une femme allaitant un porcelet, ou encore Telle mère tel fils, gigantesque carcasse d’avion écrasé. On circule avec perplexité au milieu de ce déchaînement cruel et incongru. Combat à mort entre un serpent et une grenouille, prêtre jouant de la flûte entièrement nu, couples copulant sous les applaudissements du public ou voiture carbonisée, cette grande rétrospective du jeune artiste déroute. S’agit-il d’images choc gratuites ? Ou d’une réelle dénonciation de la société actuelle ?
Abdessemed traite en effet au travers de son œuvre de la violence du monde contemporain, comme avec cette grande barque évoquant l’émigration remplie de sacs poubelle, tout en adoptant un langage très référencé aux œuvres classiques. On ressent dans son travail les influences de Grunewald, Goya ou Desidero (un tableau de ce dernier est d’ailleurs présent à l’exposition), et Who’s afraid of the big bad wolf ? , grand panneau d’animaux empaillés, est une référence claire à Guernica. Les travaux de l’artiste alternent ainsi entre références et modernité, entre voiture carbonisée et Christ en fils barbelés, entre statue monumentale de Zidane et travail sur le motif. L’œuvre interpelle sur la sauvagerie et la décadence du monde qui après tout semblent ne pas être si neuves.
Néanmoins et paradoxalement l’artiste dont le travail est très engagé et qui n’hésite pas à choquer (son œuvre Don’t trust me avait même été censurée) semble adopter un certain recul par rapport à son œuvre, une forme de distance presque gênante. Le simple titre de l’exposition « Je suis innocent » peut paraître étrange. Comme si l’artiste se désengageait totalement des images qu’il créait.

Je ne me permettrai donc pas comme il serait de bon ton de le faire en fin d’article de prononcer un avis tranché sur cette exposition. Certaines images présentent un choc visuel et émotionnel qu’il serait honteux de rater mais l’exposition sans véritable ligne directrice peut laisser perplexe. Enfin quant à la démarche de l’artiste qui peut sembler confuse, peut être ne s’agit il après tout que de pointer la violence du monde qui nous entoure sans y prendre part, tel un spectateur innocent. Comme l’illustre cette célèbre anecdote lorsqu’en 1937 l’ambassadeur nazi Otto Abetz se trouvant dans l’atelier de Picasso s’arrêtant devant le tableau Guernica, demanda outré au peintre :
  • C’est vous qui avez fait ça ?
  • Non, répond Picasso, c’est vous !
V.B



« Les apparences »


 « Les apparences » de Gilles Baumont à la galerie Confluence, Nantes.




En entrant j'aperçois des photographies en noir et blanc, comme des étoiles ou des constellations sur un ciel foncé. Des lignes blanches relient des petits galets sur le sable. Plus en détail et apparaît un quadrillage séparant des sols différents. Je continue mon chemin dans la galerie et je tombe sur des photographies de coquillages... Toutes sont en assez grand format.

Je reste sceptique. Mais je cherche à comprendre.

La série de coquillages se nomme « La Mythologie d'Estran »...

Petit à petit des formes apparaissent, comme des personnages ou des objets imaginaires. Une façon poétique de voir la nature et de s'évader
La seconde série se nomme « Les constellations »...





Comme un entre deux. Ciel? Terre?

Les « ciels étoilés » de Gilles Baumont sont composés de plusieurs bouts de terre (ou de sable), comme un puzzle de ciel. Le quadrillage représente les méridiens célestes permettant de reconstruire, en aplat les constellations. Il nous donne à voir une nouvelle lecture du ciel et des astres. Un univers qui n'est ni ciel ni terre, mais peut-être les deux à la fois



Et dans un petit coin de la galerie j'entrevois une petite photographie que m'interpelle. Elle n'est pas comme les autres. Sa taille est différente. Le décor et les méridiens ne sont pas les même que dans la série « Les constellations ». Mais elle en fait partie.
Bizarrement c'est celle qui me plaît le plus.
La couleur. La forêt. Le dessin que font les méridiens. Les étoiles brillantes.
C'est comme une toile d'araignée entre les arbres.


Alix

Performance d’Olivier MARBOEUF


Performance d’’Olivier MARBOEUF
Au Cinématographe, Nantes



« Tout finit toujours par une histoire de zombie », voilà ce qu’Olivier Marboeuf. nous a démontré ce soir-là. A la fin de sa performance, il avait relevé son défi  de nous le faire croire. Pendant environ une heure, il a assemblé des histoires entre elles, les a combinées. (Physiquement, aussi, au moyen d’un tableau blanc. Au bout de la représentation, tout était clair et connecté).
Il a fallu bien suivre (mais O.M. nous avait prévenus), et durant les vingt premières minutes, difficile de savoir où il voulait nous emmener. Il a enchaîné les histoires, toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Mais toujours vraies ! Preuves à l’appui… Sur son grand bureau installé sur la scène, O.M. disposait les témoignages de ses recherches.
Ainsi, son grand-père est bien Félicien Marboeuf, il est bien présent dans le livre « Artistes sans œuvres » de Jean-Yves Jouannais. Tout comme Roland Barthes. Dont le grand-père a bien été l’explorateur de la Côte d’Ivoire. La collection qu’il a ramenée de ses expéditions a bien été léguée à sa fille, qui l’a vendue à André Fabius, le père de Laurent Fabius, notre ancien premier ministre, etc.
Au fur et à mesure, O.M. nous emporte de plus en plus loin, et il m’est même impossible de me rappeler d’où nous étions partis. L’océan ? Nantes ? Son prénom ? Flaubert ? L’envoûtement ? Les grandes bibliothèques ? … L’artiste, avant de commencer nous avait pourtant informés : « Je projette des films dans la tête des gens ». Mission accomplie.

Clémence DELILLE



FIAC 2012


FIAC 2012




La FIAC est un sport de combat. On s’en prend plein les yeux, plein la tête,...
Avant d’y entrer, il faut se sentir léger, respirer un bon coup, être prêt car c’est parti pour trois heures d’art non-stop et des milliers d’œuvres alignées dans la nef du Grand Palais.



Les participants de la foire sont clairement définis. Il y a l’exposant, l’artiste, le visiteur professionnel, l’étudiant en art, le touriste culturel, le personnel de sécurité ou d’entretien,… Entre chacun d’eux , il y a une certaine distance. On a beau se bousculer (la FIAC rassemble plus de  85 000 visiteurs en 4 jours) cela reste une ambiance assez froide et pompeuse… Au point qu’il y a aussi une distance face aux œuvres : peu de gens s’aventurent dans les salles fermées par un rideau ou alors ils ne glissent que leurs têtes, quitte à ne pas entrer réellement dans l’œuvre elle-même. On a l’impression que le  regard est dur, qu’il juge plus qu'il ne profite. Peut -être à cause du nombre d’œuvres. On voit mais on ne regarde plus.
Les œuvres exposées sont régulièrement signées par des artistes-stars de l’art contemporain (Damien Hirst, Wim Delvoye,…) et quelques  nouvelles têtes (Claire Morgane, Khaled Jarrar,…).

La FIAC rappelle aussi la réalité de l'art aujourd’hui : c’est un marché financier. On apprend qu’un tableau de Fabrice Hyber vaut plus qu’un autre de Marc Desgranchamps et qu'un tirage de Bruno Serralongue coûte le même prix que deux œuvres d’Eric Poitevin ..

Le Grand Palais rassemble les galeries du monde entier (en particulier France, USA, Allemagne, Amérique Latine et Asie )
Cela permet de jeter un coup d’œil sur les galeries étrangères et de découvrir autant leurs poulains que leurs œuvres majeures.

Ce que l’on retient surtout de la FIAC c’est qu’elle reste un évènement incontournable, sérieux et de qualité, toujours très actuel. On en sort surpris et enrichi par nos découvertes de nouveaux talents. Cette année les œuvres étaient diverses et intéressantes mais pas bouleversantes. Je n’ai eu aucun réel coup de cœur. Peut être que face à trop d'œuvres on se perd un peu et que l'on profite moins de chacune, que l'on passe à coté de certains artistes pleins de talents.

Marion Garczynski

Fragile Territories



Fragile Territories au lieu unique, Nantes


Fragile Territories est une œuvre de Robert Henke. Son œuvre se compose d’un environnement sonore et lumineux. On ne sait si l'auditif découle du visuel ou bien le contraire, mais leur corrélation est frappante. J'ai découvert cette création avec Igor et Alexandrine. On passe une porte. Il fait sombre. La seule source lumineuse provient du mur de gauche. Un énorme mur où un panorama de traits de lumière s’y déploie. Un son englobe la salle, vibrant et électronique. De gros coussins sont sur le sol. Nous en entassons plusieurs afin de nous poser mi-allongés et profiter du spectacle de la manière la plus confortable. Quelques derniers soupirs et chuchotements et nous plongeons ensemble dans cet univers de fréquences et d'ondes. Une quiétude s'installe malgré l'œil qui se perd dans ce circuit artificiel. Je me détends et me dis que c'est sûrement fait exprès ce relâchement, afin de tomber visuellement dans la déambulation sonore de lignes et de points de lumière.





Des formes apparaissent, l'énergie du mouvement est prenante, le hasard qui anime cette sorte de dédale futuriste me captive. Sûrement aussi parce que l'ensemble s'étend sur une bonne vingtaine de mètres. Si ce n'est plus. On a dû rester contemplatif plus d'une demi-heure mais on n’a perçu qu'une infime partie de ce qui s'est passé. Je ne sais si j'avais l'esprit tourmenté mais ce mur apaisant et déroutant m'a plongé dans des abîmes. Comme s'il était un immense miroir qui me renvoyait sur moi même. Intérieurement. Me perdant dans ma tête. Cette œuvre amène à une temporalité propre au spectateur, ou à sa perception, selon moi. Je quitte la salle la tête vide mais le cœur plein. Bon moment passé, l'impression de ressortir d'une méditation.


Simon.

Fragile territories


Fragile territories, Robert Henke jusqu’au 7 janvier 2013
Expédition sensitive au lieu unique, Nantes, le jeudi 8 novembre 2012.

Entrée par un Sas de déconnexion au monde actuel.
Epais rideau noir.
Silence.
Immense espace vide plongé dans le noir.
Les yeux s'habituent peu à peu à la pénombre.
Immenses projections lumineuses sur le mur de gauche.
Enormes coussins pour s'asseoir, s'allonger, s'affaler.
Immersion totale dans la projection.
Déconnexion des synapses par les biais du son émanent de la vidéo.
Sensation de bien être, de vide intellectuel.
Rayonnement de plus en plus puissant, puis calme.
On pourrait ainsi rester des heures face à ses petits "vers de lumière" qui tracent leurs routes en cadence avec le son qui nous englobe, nous berce et nous tient en haleine tout le long de cette expérience.
Traversée de l'immense espace vide, entre les corps sans esprit des spectateurs possédés par les images.
Traversée du même épais rideau noir.
Silence.
Sortie du Sas, et reconnexion au monde actuel.
On en sort comme on sort d'un long voyage en avion, déboussolé, perdue dans les heures.
Non signé


Le grand restaurant


Le grand restaurant de Michel Blazy au Plateau, Paris

« -Oh et puis là, je te dis pas y a des mouches.
   -Et encore, vous n’avez pas vu la suite Madame »

J’observe les délicates courbes et pointillés tracés sur un tissu noir par différentes espèces d’escargots ; les couleurs de leur bave ainsi que leurs épaisseurs changent en fonction de celle-ci, comme une gamme de pinceaux.
Je m’avance vers un tableau constitué de crème dessert au chocolat et de chocolat en poudre.
Je prends alors conscience d’être entourée d’une dizaine de moucherons tandis que je détaille la finesse de l’œuvre en perpétuelle et lente évolution.
Je tourne la tête, l’œil attiré par d’étranges formes aux tons bruns, verdâtres et orangés.
Je me rapproche. Un léger écoeurement apparaît, il y a de plus en plus de moucherons. J’ai terriblement peur qu’ils ne s’introduisent dans ma bouche et dans mon nez.
Ces formes sont en fait des monticules de moitiés d’oranges à jus pressées et empilées les unes sur les autres sur trois étagères blanches. Celles de l’étagère du haut doivent dater de plusieurs années. Les couleurs sont magnifiques, je veux les voir de plus près mais je ne peux pas me rapprocher à moins de cinq mètres tellement les moucherons et les araignées grouillent.
Je m’enfuis rapidement, l’inquiétude et le dégoût se mêlant à l’intérêt et à la frustration.
Pourtant, personne ne semble réagir de la même façon. Les enfants jouent, rient la bouche grande ouverte au milieu d’une nuée de moucherons.

Une salle, du calme, une vidéo nommée The Party en référence au délicieux film de Blake Edwards. Michel Blazy ajoute, à ce qui semble être une flûte à champagne en plastique sans son socle, une rondelle d’ananas et une cerise. Il place cet objet dans son jardin ou sur sa véranda et filme les animaux s’y nourrissant ; Un crabe de terre tente, avec beaucoup de difficulté, de faire rentrer l’ensemble dans son repaire, un lézard monte sur l’ananas, un oiseau tend le cou pour l’atteindre…

Je ressors et me rends alors compte que j’ai tout à l’heure dépassé une installation nommée « Circuit fermé ». C’est une salle à manger, visible à travers une moustiquaire. Une table rouge et deux chaises y sont installées. Un couple peut, sur réservation, venir déjeuner dans cette salle. Ils y dégustent alors un carpaccio tandis que les moustiques élevés dans des bacs au-dessus d’eux les piquent tout au long du repas, sous les yeux, bien entendu, des spectateurs ameutés. Tout le monde est nourri, tout le monde est content.


Je repasse à travers la nuée de moucherons pour me diriger vers la dernière pièce.
Je les sens dans mes oreilles, sur mes joues ; mes cheveux me grattent, je cours, l’écharpe sur la bouche à travers la grande pièce. Une fois le seuil franchi, les insectes se font beaucoup moins nombreux mais un effluve de forêt humide et rance pénètre alors mon nez.
Une grotte de près de dix mètres de long se tient devant moi. Elle est constituée de coton imbibé sur laquelle poussent des graines de lentilles. L’extérieur est donc très organique, jauni, et presque rocailleux. Je rentre à l’intérieur. L’odeur est toujours présente mais très atténuée. Des lambeaux de coton sont comme des stalactites. Les parois velouteuses me rassérènent, les tons bleutés et la quiétude ambiante créent une rupture avec la frénésie que je viens de vivre. Je ressors de cette exposition fascinée par la beauté tout de même parfois facile de ces œuvres, étonnée de ma propre réaction et curieuse de découvrir le reste de l’œuvre de l’artiste.

Elise Allée

Détails du tableau Cerf, constitué de crème dessert chocolat
et de chocolat en poudre, 2009



Bar à oranges



Extrait de la vidéo The Party


Circuit fermé, 2012




 
 Grotte, 2012

Bertrand Lavier, depuis 1969


Bertrand Lavier, depuis 1969
Centre Georges Pompidou
Jusqu’au 7 janvier 2013

De lui, j'avais vu quelques pièces en visitant des expos ou en feuilletant des catalogues, pas assez pour avoir une idée précise de son travail mais suffisamment pour le considérer comme un artiste légèrement provocateur, disons taquin, produisant des images efficaces.
C'est, donc, curieux que je me rends à l'exposition. J'y découvre de multiples pièces qui, heureusement, sont suffisamment espacées pour ne pas se parasiter. Les pièces sont belles, c'est une promenade agréable pour les yeux. Il n'en est pas de même pour l'esprit, chacune des pièces semble demander "que suis-je ?". Ici la première impression est toujours mauvaise et les genres se croisent tant qu'on ne sait plus à quoi on a affaire. J'en ai même le sentiment d'être sans cesse contredit.
Là-bas, par exemple, je crois voir un simple piano, je m'approche et non c'est en fait un piano repeint à l'acrylique. "Drôle de sculpture", je me dis, et non "peinture sur piano" indique le cartel, "un piano peint sur un piano ? Qu'est-ce que c'est alors ? Un piano ? Sa représentation ? Les deux ? Ni l'un ni l'autre ?". Et ce jeu avec les quelques repères qui ont survécu à l'art moderne est permanent. Il nous égare, nous pousse systématiquement à nous questionner sur le statut voire l'identité de l'objet et cela en passant par des idées reçues dont il souligne les contradictions.
Bien que les matériaux et les médiums utilisés soient multiples, les procédés eux sont assez réduits. On est, bien sûr, loin de l'artiste artisan, le geste, à part pour les objets peints dont fait partie le piano, est inexistant. L'artiste choisit, greffe et transpose. Ces procédés pourraient eux-mêmes, d'ailleurs, être considérés comme une transposition des procédés de l'horticulteur (son métier d'origine).
La scénographie, qui regroupe les œuvres par thèmes, permet une lecture très claire du travail de Lavier cependant elle renforce un aspect répétitif de son travail. On en vient presque à se demander s'il n'applique pas la même recette à différents thèmes.
Charles Cailleteau

Peinture Acrylique sur piano, Gabriel Gaveau, Bertrand Lavier 1981

Brandt / Haffner, Bertrand Lavier, 1984

Pentzelen Zarata Mailu Isiltasuna


Pentzelen Zarata Mailu Isiltasuna
Atelier Mille feuilles au Hangar 30, Nantes

Après le cours de mobilité, ce vendredi-là nous étions des marteaux certes mais il nous fallait bien prendre des coups sur la tête pour juste réussir à prononcer le nom de l'exposition après la visite de Si j’avais un marteau à la HAB Galerie.

Vendredi 26 octobre 2012, les Ateliers mille feuilles du Hangar 30 et leurs jeunes artistes exhibent quelques pièces personnelles, mais pas seulement. Le concept est que chaque résident invite un ami artiste pour qu'ils exposent ensemble dans l’espace commun.

On entre à l'heure de l'ancestral rituel de l'exposition : le vernissage où l’on subtilise une friandise acidulée qu'on fait passer avec une lampée de jus de poire.
Puis on pénètre dans la vaste exposition. Par où commencer ? Une grande huile sur toile représente une vague océanique. Trois "vases" sans fond sont faits de petites billes noires vernies. Deux énormes huiles sur toiles abstraites plus fluos que psychédéliques. Un triptyque photographique avec des jeux de mots lumineux et troublants. Un pilier blanc d'exposition cliché fendu parfaitement en deux relié par une petite excroissance en son centre. Un dôme de plastique léger gonflé par une machine à air puissante. Ou encore une photographie difforme passée par une clé usb corrompue. Une vidéo projetée derrière une vitre de bureau témoigne de la force destructrice des torrents du fleuve Congo etc …
D’un point de vue architectural, un mur s'élève en plein milieu de la salle d'exposition. Quand on a jeté un premier regard global sur les travaux, on tourne encore et encore autour du rond-point mural pour s'attarder sur les œuvres qui pourraient plaire. Peut-être aussi se moquer du galeriste du centre-ville qui transforme une sculpture épineuse et chaotique en liasses de billets. Je me suis attardé sur deux œuvres plus ou moins liées par leur thématique aquatique.
Une vague impressive et impressionnante se dresse doucement dans le cadre d’une toile avec quelques tâches colorées dans son relief dépourvu de ciel subtilisé par le bleu du remous. L'autre pièce se présente sous forme d’une vidéo ; une projection d'un fleuve congolais. Les plans sur les paysages typiques de l'Afrique Noire perdent leur misère avec une colorimétrie douteuse et altérée par des violets orangés. Le sujet principal restant le débordement de ce fleuve qui traverse son lit avec une puissance brutale et meurtrière, toujours avec les couleurs du noble continent. En se télescopant ces deux œuvres ont précieusement mouillé, trempé, noyé ma psyché dans l'héroïsme de l'eau sous toutes ses dénominations terrestres et mystiques.
Le fait est que cette exposition regroupe tellement d'exposants (plus d'une trentaine) qu'elle révèle bien la puissance de ces ateliers. En tant qu'élève des beaux-arts je jalouse même l'endroit et les exposants car c'est avec plein d'espoir que j'ai regardé ces différents projets qui résultent finalement de personnes tout juste diplômées ou en pleine ascension artistique.

Wacim




lundi 12 novembre 2012

Fabrice Luchini lit Philippe Muray


THEATRE ANTOINE, Paris
Fabrice Luchini lit Philippe Muray

16h45 : La salle est remplie jusqu’au paradis, la plus haute coursive du théâtre, certains spectateurs peuvent même toucher l’impressionnant plafond du théâtre Antoine. Le rideau est déjà levé, sur scène une chaise en bois à coté d’une table sur laquelle sont posés une carafe et un verre remplis d’eau, des feuillets et des livres ; notamment un très épais de Cioran parsemé d’ une dizaine de post-it roses.
4 spots placés au dessus de la scène et orientés vers la table s’éclairent doucement pendant que ceux de la salle se baissent mais les spectateurs ne sont pas totalement plongés dans le noir.

17h : Fabrice Lucchini arrive sur scène en costume sombre et chemise blanche, il regarde la salle, à peu près 800 personnes, puis s’assoit sur la chaise; face au public. « Vous allez voir ça va être moins marrant que chez Drucker, et pour bien vous montrez que nous ne sommes pas dans quelque chose de très festif je vais commencer par une phrase de Cioran que j’aime beaucoup… »

Pendant deux heures, l’acteur lit au public des écrits de Philippe Muray, auteur contemporain mort en 2006. Il cite Balzac, Jouvet, Céline et tant d’autres… Il fait aussi des pauses dans le texte de l’essayiste féroce, des apartés où toute la puissance comique du comédien explose. Il parle politique, comme souvent, c’est un sujet qui le passionne, et qui passionnait aussi l’auteur dont il fait la lecture. Le comédien considère le texte de Muray sur le débat comme un chef-d’œuvre, et en voici quelques mots : « Un magma d’entre- gloses qui permet de se consoler sans cesse de ne jamais atteindre seul à rien de magistral (…) Le réel s’efface au rythme même où il est débattu (…) On convoque de grands problèmes, et on les dissout à fur et à mesure qu’on les mouline dans le débat »…
Nietzschéen? Oui, mais pas seulement, Muray a des « vertus moliéresques » comme l’avait si justement dit Fabrice Luchini dans une interview, unique dialecticien de notre époque, qui ose être contre la doxa bien pensante de « L’empire du bien », le festif pour toujours, le culturel pour tous, mais derrière « l’homo-festivus » il y a la dimension tragique du déni, car c’est la mort du réel, la mort de la vie et de l’art, pour le socio-philosophe le festif est un parti de l’ordre ; mais il n’ est pas réactionnaire, il est profondément anti-moderne.
Aimait il l’art ? Oui, beaucoup, mais il  haïssait le socio-culturel, il nous explique « qu’en réalité la culture qui est le miracle où chacun est renvoyé à lui dans sa solitude, son rapport à lui, sa construction, a été confisquée en faveur d’une globalité massive qui réduit l’art dans ce qu’il a d’inéluctable pour en faire un matériau de loisir et de consommation où il n’y a plus la vérité de la vie mais qu’un outil de domestication de masse. » L’auteur s’échappe de cette idéologie dominante si étouffante, de ce dictat démagogique. Mais ce désespoir a quelque chose de risible, de drôle, même si il écrase durement nos illusions sentimentales.

19h : Fin du spectacle, les gens applaudissent et se chuchotent : « Déjà ?! Mais quelle heure est il ? Je n’ai pas du tout vu le temps passé. »
En effet malgré la densité du texte et la restitution éclatante qu’ en fait Fabrice Luchini, le temps est passé vite, trop vite. Le talent de l’acteur ajouté à la pensée de cet écrivain, font de cette lecture un moment jouissif. Pour les spectateurs comblés par ce moment d’intelligence éloquente, c’est presque une frustration de voir le comédien quitter la scène.
19h30 : Rendez vous derrière le théâtre, à la sortie des artistes. Une dizaine de personnes arrive, certaines pour des autographes ou des photos, ou juste pour lui parler, le toucher, l’approcher. Lui, Fabrice Luchini, un mythe qu’on a découvert grâce à Éric Rohmer, que l’on a adoré au théâtre, qu’on a écouté avec passion lire Céline, Baudelaire, Paul Valéry, La Fontaine et d’autres, on se délecte de chacune de ses anecdotes sur Roland Barthes, Perceval le Gallois, Johny Halliday, le Palace, le collège de France etc…
Ca y est, le voilà, je me consume à l’idée de le saluer, de lui parler, et je vois tous ces gens qui l’approchent (une scène digne des oiseaux d’Hitchcock). Soudain il me tend la main, nous discutons, je lui demande s’il n’a pas l’impression qu’il y a trop de rires pendant le spectacle et si le public passe à coté du sens du texte.
« Oui et non. Oui car parfois les rires polluent, et non car il faut des respirations à ces écrits si intenses. J’ai besoin de ça pour ponctuer le texte en l’allégeant, le public a besoin de ça pour être tenu en haleine sur la hauteur de l’écrivain, le public ne fait pas d’effort donc il faut l’emmener, le forcer ».
Comment a-t-il sélectionné les extraits ?
« C’est Madame Muray, Anne, sa femme qui a sélectionné et établi l’ordre de lecture »
À la question : considère t il ce qu’il fait sur scène comme une performance, il me répond simplement non. Apres un bref échange sur Rohmer, je le remercie, il m’embrasse, et me dit « À bientôt Mademoiselle ».
Transportée par ce spectacle et cet entretien je quitte cet endroit avec un souvenir magique de cette excellente soirée.


« Autant pas se faire d'illusions, les gens n'ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c'est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. » Louis Ferdinand Céline – Voyage au bout de la nuit ; 1932.

Léa Bertail Domarchi


La Bohème au Grand Palais


Bohèmes, Grand Palais, Paris, jusqu’au 14 janvier 2013


LA BOHEME AU GRAND PALAIS

La Bohème de De Vinci à Picasso. L'exposition dont le titre me semblait évocateur, le mot bohème représentant, pour moi, un questionnement tout à fait contemporain, était présentée dans une des ailes du Grand Palais. Je monte quelques marches en marbre blanc, je passe la porte princière, chargée de dorures, pour arriver dans une magnifique salle en rotonde et payer mon droit d'entrée. (Cela coûte cher la bohème).

«Qu'est-ce que la bohème ? Qui est le bohémien, que représentait-il hier ? Que représente-t-il aujourd'hui ?» Une somme de questions que l'on pouvait se poser avant de franchir la porte de l'exposition. J'entre dans la première salle. Sombre, il y a beaucoup de monde. Un dimanche après-midi. Une vidéo est projetée : Moholy Nagy : Gross-Stadt Zigeuner. L'artiste filme une communauté tzigane du Berlin de 1930. Un homme joue du violon. Une femme prédit l'avenir. Des enfants rient en silence. Pas de son. Les images sont mouvementées. Belles mais volées lorsqu'on apprend que l'artiste n'était pas accepté par la communauté. Car c'est aussi une des questions que soulève l'exposition : la relation entre le bohémien et l'artiste.
Lazlo Moholy-Nagy, Gross-Stadt Zigeuner, 1930.
 Représentations divinisées, mystifiées ou plus réalistes du tzigane, nous traversons un grand pan de l'histoire de l'art (du XIVème au XXème siècle) pour découvrir la relation complexe qui se noue entre l'artiste et le bohème, entre admiration-divinisation romantique du représentant et condition de vie réelle du représenté. Une pluralité d'œuvres et des points de vue qui est aussi représentatif d'un imaginaire collectif en continuel "évolution". L'exposition devant aussi révéler la relation aléatoire qui se joue entre communauté tzigane et société occidentale. Je m'arrête devant la Rencontre de Courbet.

La Rencontre ou Bonjour Monsieur Courbet, Gustave Courbet 1854.
Tandis que Victor Hugo crée la belle Esmeralda et que Courbet se représente en bohémien, L'exposition présente peu d'œuvres nous écartant de l'image d'Epinal du tzigane. Dans cet «amas» de tableaux divinisés, d'une grande beauté technique et picturale, je m'arrête cependant devant le tableau d'un jeune peintre du XIXème siècle. Un tzigane tend un violon cassé à un juge. Son instrument a été détruit par un fils de paysan.

Coline Gilbert.

Le souffle des chimères



Le souffle des chimères
Galerie Mélanie Rio – 21 septembre au 27 octobre 2012


Inès et Ruben réfléchissent à la façon dont ils vont rédiger la chronique.

-C’était un dialogue où on devait imaginer la chronique ?

- Ouais c’était ça.

-Bon, on commence par quoi ?

- Bah, par la porte.

-Tu devrais préciser la porte d’entrée de la galerie.

-Non j’précise pas.

-Pourtant je trouve qu’elle est importante, parce que c’est une vieille porte
d’immeuble qui passe inaperçue.

-C’est vrai, j’voulais juste pas préciser «d’entrée ».

-C’était étrange qu’il faille sonner et que le type vienne nous ouvrir.

-Ouais, ça faisait un peu …Ca faisait un peu…

-« Bienvenue chez moi ! » hahaha ! !

- …rendez-vous comment dire… intime.

-Ouais. En tout cas le galeriste était très accueillant.

- Euh ! Moi j’vais dire une connerie là !… Non en fait ça fait un peu trop…

-Ouais, après on va plus rien comprendre à notre mise en abyme.

- Un peu comme dans l’expo en fait.

-Euh ? pourquoi ?

- Bah si, un peu.

-Une maison dans une maison ?

-Non, mais une expo de trucs qu’on peut trouver dans une maison, replacés dans une maison.

Linda Sanchez: Tissus de sable 2012
Julie Béna : Eclaircie 2 (vidéo projetée, 2012)


-Ouais comme le tapis fait de sable et les photos de familles taguées exposées au dessus de la cheminée.








-Oui ! et la fenêtre projetée sur le mur, où on a joué comme des gosses, comme dans notre maison d’enfance, tu t’souviens ?

-Aha ! avec cette phrase on dirait qu’on est frère et soeur !

- Mais ce qui est marrant… mais ce qui est fou, c’est que certaines oeuvres sont…intrigantes. Des formes euh…

-Tu parles de celles au sous-sol qui semblaient être faites en ciment, enfin toutes dures quoi, et qui prenaient des formes toutes molles.

- Oui ! l’alphabet !

-C’est vrai que la façon dont elles étaient disposées sur le sol faisait penser à une sorte de langage.


Sophie Dubosc

-Comme un langage universel, mais qui semblait tellement détaché de l’univers de la maison, que j’en avais peur ! Heureusement que t’étais là !

-Oui, c’est vrai que c’était très angoissant ce sous-sol blanc, et puis tu te souviens de cette boîte de conserve suspendue au plafond par un fil avec une sorte de liquide à l’intérieur ?… étrange.

-D’où tu me l’as montrée, avec le bruit… non… la musique de l’étage au dessus, c’était terrible !

-C’était angoissant, mais ce qui est étrange, c’était que ces volumes exposés s’inséraient parfaitement dans l’architecture du lieu d’exposition.

Sophie Dubosc
Hé ! D’ailleurs, on devrait parler des strates : au sous-sol ce qui est exposé semble neutre, fait de matériaux pauvres, puis au rez-de-chaussée, ça prend vie ça bouge, et puis tout en haut, il y a cette vidéo, avec des gens qui parlent, qui vivent.

- Wow ! Le monologue !

-T’as rien d’autre à dire ? tu dis juste ça ?

-Euh, si… La vidéo à la fin, elle était un peu longue.

-Ouais. On a passé combien de temps à la regarder ?

-C’était long, genre c’était pas un film, ni un documentaire ou un reportage. C’était la maison.

-Mais carrément ! Une vidéo intimiste sur la vie de cette petite fille trisomique…

-En fait, c’était comme une fenêtre quoi !

-Et nous on est des voyeurs…

-Ouais j’étais mal à l’aise car je ne suis pas un voyeur.

-Tu trouves pas que la notion de voyeurisme est super présente dans cette expo ? On rentre dans une maison déjà, et puis tout fait penser à l’intérieur de chez quelqu’un.

-Ouais enfin on était quand même invités !

-C’est ça qu’est bizarre.

-Mais t’as raison j’voulais faire plein de bêtises.

-On voulait tout toucher, sans aucune gêne, comme si on était chez nous.
Le téléphone sonne.
-Je répondrais plus tard.

Inès et Ruben


mardi 6 novembre 2012

Sylvain Bonniol

Sylvain Bonniol Galerie RDV Nantes du 8/09 au 13/10/2012
VISIONS ACOUSTIQUES

Cette exposition nous emmène dans un voyage du regard sur les parois glaciales d’une usine vide d’un laboratoire d’acoustique sans l'activité sonore : ici la pièce fait place au Silence.
Il s'agit d'un travail de contraste des teintes et de collage de prises de vues aléatoires et spontanées du regard photographique numérique. Kaléidoscopes géants rendant non pas la poésie du verre concassé et coloré vers un monde imaginaire mais la froideur de l'imagerie scientifique et toute la beauté liée à l'univers des machines sonores. La Ruche est dans le motif
Encastrement des formes à la manière des mosaïques. Mur anti-son
Fils électriques Matériels sonores
Casque de chantier Boîtiers Prises un Chercheur
Espaces insolites Escabeau horizontal Une Chaise seule
Impression de voir double et trouble. Vertige du trop plein d'images.
Distorsion du Volume par le regard.
Remarquable travail graphique accentué par l'effet d'optique que crée le quadrillage en blanc qui sépare chaque cliché.
Danse Volutes Rondes comme les Ondes du Son
Même sensation que peut produire le Son sur le corps ou l'esprit mais à travers le regard : quelque chose de direct nous fait vibrer ou nous répulse.
C’est à la fois fascinant de beauté plastique, composition des formes, rapport des tonalités et des rythmes qu’accentuent les couleurs franches, mais c’est à la fois ultra angoissant. Impression de claustrophobie et d'étouffement. Tout est enfermé alors que l’on pourrait être dehors (certains espaces faisant référence à l’extérieur dans des collages où priment les lieux intérieurs). Son de Studio, Studio de Son, Reconstitution factice de sons pour tester des matériaux de résistance sonore. Ambivalence intrigante et intéressante mais qui peut être une expérience désagréable. Il y a toute la froideur de la géométrie, toute l'esthétique glaciale et fascinante des machines :
Comme les viscères d'un ordinateur monumental.
Dans l'autre salle, un projecteur nous donne à voir une par une dans la pénombre, une sélection de photographies comme les diapositives observées rigoureusement par le photographe effectuant son choix. Notre regard se pose enfin, soulagé, appréciant la qualité de chaque composition.
Fascination de l'auteur pour ces usines d’expérimentations sonores : « Laboratoire de recherche du Mans » …... sensation désagréable d’hôpital, des lieux de recherches psycho-pathologique de médecine sur cobaye. `
Les coloris, contrastes et formes sont vraiment surprenants hypnotiques psychédéliques dans le travail rigoureux. Le montage, en fait lié à la prise de vue, pourrait également être celui de l’ingénieur du son qui compose un morceau constitué de multitude de captations sonores. Et toujours cette réflexion inhérente à notre époque du trop plein d'images avec un questionnement sur la confrontation numérique/argentique, collage/photographie, son/image. A mon sens : Exposition très réussie. Blanche Denarnaud