vendredi 23 novembre 2012

Le grand restaurant


Le grand restaurant de Michel Blazy au Plateau, Paris

« -Oh et puis là, je te dis pas y a des mouches.
   -Et encore, vous n’avez pas vu la suite Madame »

J’observe les délicates courbes et pointillés tracés sur un tissu noir par différentes espèces d’escargots ; les couleurs de leur bave ainsi que leurs épaisseurs changent en fonction de celle-ci, comme une gamme de pinceaux.
Je m’avance vers un tableau constitué de crème dessert au chocolat et de chocolat en poudre.
Je prends alors conscience d’être entourée d’une dizaine de moucherons tandis que je détaille la finesse de l’œuvre en perpétuelle et lente évolution.
Je tourne la tête, l’œil attiré par d’étranges formes aux tons bruns, verdâtres et orangés.
Je me rapproche. Un léger écoeurement apparaît, il y a de plus en plus de moucherons. J’ai terriblement peur qu’ils ne s’introduisent dans ma bouche et dans mon nez.
Ces formes sont en fait des monticules de moitiés d’oranges à jus pressées et empilées les unes sur les autres sur trois étagères blanches. Celles de l’étagère du haut doivent dater de plusieurs années. Les couleurs sont magnifiques, je veux les voir de plus près mais je ne peux pas me rapprocher à moins de cinq mètres tellement les moucherons et les araignées grouillent.
Je m’enfuis rapidement, l’inquiétude et le dégoût se mêlant à l’intérêt et à la frustration.
Pourtant, personne ne semble réagir de la même façon. Les enfants jouent, rient la bouche grande ouverte au milieu d’une nuée de moucherons.

Une salle, du calme, une vidéo nommée The Party en référence au délicieux film de Blake Edwards. Michel Blazy ajoute, à ce qui semble être une flûte à champagne en plastique sans son socle, une rondelle d’ananas et une cerise. Il place cet objet dans son jardin ou sur sa véranda et filme les animaux s’y nourrissant ; Un crabe de terre tente, avec beaucoup de difficulté, de faire rentrer l’ensemble dans son repaire, un lézard monte sur l’ananas, un oiseau tend le cou pour l’atteindre…

Je ressors et me rends alors compte que j’ai tout à l’heure dépassé une installation nommée « Circuit fermé ». C’est une salle à manger, visible à travers une moustiquaire. Une table rouge et deux chaises y sont installées. Un couple peut, sur réservation, venir déjeuner dans cette salle. Ils y dégustent alors un carpaccio tandis que les moustiques élevés dans des bacs au-dessus d’eux les piquent tout au long du repas, sous les yeux, bien entendu, des spectateurs ameutés. Tout le monde est nourri, tout le monde est content.


Je repasse à travers la nuée de moucherons pour me diriger vers la dernière pièce.
Je les sens dans mes oreilles, sur mes joues ; mes cheveux me grattent, je cours, l’écharpe sur la bouche à travers la grande pièce. Une fois le seuil franchi, les insectes se font beaucoup moins nombreux mais un effluve de forêt humide et rance pénètre alors mon nez.
Une grotte de près de dix mètres de long se tient devant moi. Elle est constituée de coton imbibé sur laquelle poussent des graines de lentilles. L’extérieur est donc très organique, jauni, et presque rocailleux. Je rentre à l’intérieur. L’odeur est toujours présente mais très atténuée. Des lambeaux de coton sont comme des stalactites. Les parois velouteuses me rassérènent, les tons bleutés et la quiétude ambiante créent une rupture avec la frénésie que je viens de vivre. Je ressors de cette exposition fascinée par la beauté tout de même parfois facile de ces œuvres, étonnée de ma propre réaction et curieuse de découvrir le reste de l’œuvre de l’artiste.

Elise Allée

Détails du tableau Cerf, constitué de crème dessert chocolat
et de chocolat en poudre, 2009



Bar à oranges



Extrait de la vidéo The Party


Circuit fermé, 2012




 
 Grotte, 2012

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