mercredi 9 novembre 2016

Le Lieu Unique - Pedro Reyes - Disarm (mechanized)

Disarm (Mechanized)
Pedro REYES
du 21 octobre au 27 novembre 2016
au LU (Lieu Unique), 2 quai Ferdinand Favre à Nantes

Dans la grande pièce blanche d'exposition à l'étage, le Lieu Unique présente en ce moment même Disarm (Mechanized), une oeuvre sonore de l'artiste mexicain Pedro Reyes.

Cette grande installation mécanique présente d'étranges instruments de musiques, reliés entre eux et amplifiés qui jouent par intermittence des petites phrases afin de former une mélodie d'ensemble. Le spectateur est invité à circuler autour de cet orchestre automatique et à se rapprocher afin de comprendre ce qui produit ces sons. La surprise est grande et ferait presque reculer ce dernier lorsqu'il comprend que ce sont des armes à feu qu'il a sous les yeux. En effet, Pedro Reyes a réutilisé, modifié, re-sculpté des revolvers, fusils et mitraillettes afin de composer un ensemble d'instruments de musique. Le spectateur inspecte alors sous un autre angle ces appareils de ferraille et l'impressionnante quantité d'armes dressées droit sur lui dans son environnement. La musique qui semblait alors à l'entrée inoffensive avec ces « presque » batterie, xylophone, marimba, violoncelle, basse, carillon...prend alors un tout autre sens.
Le morceau, composé par et pour ces instruments et présenté au LU, est régulièrement entrecoupé de silences, tout en restant temps rythmé et plein d'énergie. Il mélange des sons quasiment électroniques, rappelant ceux d'un synthétiseur, avec des sons de musiques tribales : telle l'alliance de la technologie avec des impulsions traditionnelles et naturelles. Les espaces de vides au sein de la composition musicale permettent le déplacement des spectateurs et à la quête de la provenance des sons.




Associer l'univers de la mort à la musique déroute, mais le fait de transformer ces armes qui ont servi à tuer, leur offre une sorte de rédemption, et une seconde vie, bien meilleure en tant qu'instruments de musique. Le son, caractéristique et traumatisant que déclenche une arme en fonctionnement n'aura plus jamais lieu avec celles-ci.

Cette installation est la continuité de deux œuvres précédentes de Pedro Reyes. Celui-ci avait commencé en 2008 avec Palas por pistolas à Culiacàn, une des villes les plus dangereuses du Mexique par la violence qui y règne. L'artiste y avait collecté 1527 armes à feu grâce à la simple donation des citadins de Culiacàn qui recevaient en échange un coupon d'achat dans les magasins locaux. Avec cet arsenal qu'il a fait fondre, 1527 pelles ont été forgées en partenariat avec le jardin botanique de la ville afin de servir à faire planter 1527 arbres à des institutions, des associations, des écoles, etc... Ce désarmement avait pour but de ré-utiliser ce qui avait servi à provoquer la mort, en un outil pour donner la vie.
Ensuite, en 2012, le gouvernement mexicain propose à Pedro Reyes de récupérer le métal de 6700 armes prêtes à être détruites. Ce dernier accepte, et décide de transformer ces fusils et pistolets en instruments de musique. C'est la naissance d'Imagine, où il a été question de recréer des instruments « traditionnels » d'orchestre qui sont joués aujourd'hui lors de concerts-performances. Des musiciens ont ainsi pu reprendre avec ces instruments le tube mythique et pacifiste Imagine de John Lennon (https://www.youtube.com/watch?v=rgMW2VuGItM).

Dans l'exposition, deux vidéos près de l'entrée complètent l'installation sonore. L'une présente la destruction par l'état mexicain des armes confisquées. Celles-ci sont broyées, désossées... afin de ne plus être qu'alors un simple tas de ferraille. Mais symboliquement cette action est lourde de résonances lorsque l'on sait que chaque revolver a été utilisé pour sa fonction première.
La seconde vidéo est une démonstration d'un morceau qui a été programmé sur ces mêmes instruments de l'installation. Elle nous offre une autre mélodie que celle présentée dans la salle, plus énergique, à la manière d'une répétition d'un groupe d'amis en studio. Ce mini clip dévoile ainsi d'autres facettes de ces instruments et de cette performance mécanisée. Cependant, si Pedro Reyes ne présente cette vidéo qu'en « plus » de l'installation c'est dans la volonté de montrer réellement les instruments, et de les faire jouer devant un public qui doit vivre et appréhender cette combinaison au premier abord inadéquate avec les armes à feu pour comprendre son propos.





La musique est la première des communications universelles depuis tout temps, et dans notre monde d'aujourd'hui, il est malheureusement admis que la guerre et la violence en soit une également. Pedro Reyes combat l'industrie de la mort, ainsi que la banalisation des armes dans les jeux vidéo ou les films qui sont les premiers acteurs invisibles du trafic d'armes, et de la violence dans le monde où le nombre d'homicide est affolant. Il nourrit l'utopie d'un monde sans arme et souhaite enclencher une prise de conscience sociale et psychologique grâce à ses travaux afin d'améliorer notre société.

Pour finir, cette installation mélange sculpture et musique, et du même coup les nouvelles technologies. Ni bonnes, ni mauvaises, il faut savoir les utiliser à bon escient comme nous le montre l'artiste. Cette exposition, présente plastiquement une musique mécanisée, industrialisée et peut renvoyer à ce genre de musique actuelle en plein essor. Certes, ce n'est sans doute absolument pas le propos de l'artiste, mais j'y retournerais bien une seconde fois afin de me pencher vers d'autres pistes comme celle-ci et ré-explorer cette œuvre sous un autre angle.

Pour en voir plus et noter qu'il ne vous reste que quelques jours pour profiter de cette exposition : http://www.lelieuunique.com/site/2016/10/21/disarm/



Mathilde Blieck

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