mercredi 6 décembre 2017

Les seules formes, les seules questions - Cécile Dugue

GROTTA PROFUNDA, APPROFUNDITA, Pauline Curnier-Jardin 
à la Biennale de Venise 2017

Les seules formes, les seules questions

Il n’y a pas plus éprouvant que la Biennale de Venise pour la concentration, car partout dans la ville s’ouvrent des expositions comme des joyaux dans un écrin déjà lui-même du plus grand raffinement. Les parures des rues sont époustouflantes, le regard ne peut qu’être ravi, sollicité et comblé, pourri-gâté. Et lorsqu’on rentre dans un Palazzo, là encore c’est magique, des œuvres  d’art contemporain, du design à l’art conceptuel, de la peinture, de la vidéo, de la sculpture, de la musique, tout, quoi !
Et puis on rentre dans l’immense Arsenal, on en a encore partout autour de soi, c’est de l’artillerie lourde, c’est superbe, ça dégouline d’art contemporain, de bon goût, d’exceptions, on est gavé, on en veut encore, c’est de la boulimie, on vomit un coup et rebelote. 
Tout à coup, on entre dans une sorte de bouche en papier-mâché, c’est très sombre, on se demande ce que c’est que ce recoin de l’expo, et on se retrouve face-à face avec l’essentiel. On oublie tout. La Poésie est là, dans cette grotte. Elle se jette sur nous, elle va tout profond dans l’obscurité, dans ce qui est humain, là, dans ton ventre et puis partout. C’est la seule rencontre de la Biennale qui totalise le corps et la pensée, qui n’est pas qu’une surface, qui est même le dessous de la croûte. Et comme sont belles ces aspérités !
Dans la caverne, je tâtonne un peu avant de retrouver mon équilibre — le sol est inégal. Vingt minutes coulent et ce n’est pas un léger « tic-tac » à l’horloge ; non, ça résonne violemment, il y a une présence, une présence qui traverse la vidéo pour se retrouver, étrange, dans la grotte verte et rouge. C’est exubérant : des démons, des rochers, des jeunes filles dansent et leurs chants racontent un rêve universel. Je me crois revenue à des temps où la tragédie était sacrée, où l’opéra n’existait pas encore. La musique vient de la terre, sous la surface ; elle cherche un dieu, elle trouve des corps. Une araignée ou une femme ? Il y a une foule de moments, mais tout est linéaire : la seule spiritualité contemporaine est un pleur, un vagissement de nourrisson. Et il y a le rire ! La joie absurde, évidente, jouissive du mouvement perpétuel, que les questions n’entament pas.
La lumière enrobe, délivre, mais surtout garde les mystères. Elle encercle les mythes dans une grotte profonde, approfondie.


Cécile Dugué

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire